Musulmans et chrétiens en chemin: le sens de la prière
Une quarantaine de personnes se sont donné rendez-vous dimanche 1er septembre à la « Maison du dialogue » (l’Arzillier), à Lausanne, pour la neuvième rencontre de « Musulmans et chrétiens en chemin ». Cette année son thème a été la prière.
« Espérons et prions que ces moments que nous allons passer ensemble soient une rencontre qui éclairera les chemins de chacun d'entre nous et nous aidera à avancer sur un chemin en commun avec toujours davantage de compréhension mutuelle et de manifestation de fraternité », souhaite Sandrine Ruiz, co-présidente musulmane de la rencontre. Quant au pasteur Martin Hoegger, il invite à une écoute attentive et réciproque, sachant que « le dialogue commence par l’écoute ».
La formule de ces rencontres annuelles est maintenant « rôdée ». Une introduction permet aux personnes de dire leurs attentes et de placer la rencontre devant Dieu, suivie par deux conférences sur le thème, deux témoignages et des petits groupes où l’on peut partager ses réflexions et expériences.
La prière, souffle de l’âme
La jeune théologienne protestante, Hanitra Irène Raoelison, d’origine malgache et membre de la communauté des Focolari de Genève, apporte ses réflexions sur le sens de la prière. « Il y aurait mille et unes définitions à donner à la prière. Si je vous pose la question maintenant : qu’est-ce que la prière pour vous, j’aurai au moins une cinquantaine de définitions », dit-elle.
Pour Chiara Lubich, la fondatrice des Focolari, la prière est « le souffle de notre âme, l’oxygène de toute notre vie spirituelle, l’expression de notre amour pour Dieu, le carburant de chacune de nos activités. »
La prière chrétienne la plus connue est certainement « Le Notre Père », la prière des chrétiens par excellence, toutes confessions confondues. « Elle nous rassemble comme enfants du même Père, mais elle nous met aussi en lien entre nous et avec tous les humains, nos frères et sœurs ».
En fait, c’est Jésus lui-même qui donne l’exemple de celui qui prie. Avant sa mission, avant ou après toute action, il prie. Ses derniers mots sur la croix s’adressent à Dieu le Père à qui il remet son esprit.
« Jésus, maître dans la prière nous apprend à être en lien avec Dieu, en tant que Père, « Abba, Père», un Dieu proche et accessible, à qui on peut parler souvent, à qui on peut dire ce qu’on fait, les projets, les intentions, les défis et même les mécontentements et les cris ».
Elle précise que la prière est une manière d’exprimer l’amour pour Dieu. Puisque Dieu nous aime, quand on se sait aimé, on a envie de redonner l’amour reçu. Ainsi, la prière est une réponse d’amour à l’amour.
Irène fait partie d’une communauté de 13 femmes, dont 5 sont mariées et vivent en famille. Elles s’entraident chaque jour dans la prière et le service. Grâce à un groupe WhatsApp, elles partagent aussi les situations pour lesquelles elles peuvent prier.
« Prier c’est aussi pour nous, au long de la journée, au milieu des différentes activités, être en dialogue avec Dieu en lui offrant nos actions avec un « pour Toi » qui nous aide à orienter l'âme et la vie vers Dieu, travailler et étudier pour Lui, cuisiner, téléphoner, faire le ménage, se reposer... pour Lui », conclut-elle.
Devenir conscient de la Grâce
Vahid Khoshideh, président de l’Association Islamique et Culturelle d’Ahl-el-Bayt à Genève, a apporté la deuxième réflexion. Il donne une synthèse du sens de la prière dans l’Islam : « Elle occupe une place centrale dans la foi musulmane, n'étant pas simplement un rituel, mais un acte profond de dévotion, de soumission et de connexion spirituelle avec le Créateur. La prière est le cœur de la relation entre l'homme et Dieu, transcendant les besoins terrestres pour ouvrir la voie à une communion spirituelle profonde ».
Il distingue deux « voies de connexion » : la lecture du Coran et l’invocation. La lecture du Coran représente une communication "du haut vers le bas". Elle permet de recevoir les enseignements divins, d'en imprégner son esprit et son cœur, et de se conformer aux préceptes de Dieu.
L'invocation, quant à elle, est une communication "du bas vers le haut". C'est une prière spontanée et personnelle où l'individu exprime ses besoins, ses remerciements, ses repentirs ou ses louanges directement à Dieu.
La prière a un effet éducatif profond sur l'individu : « grâce à la prière, l'homme devient plus conscient de la grâce divine et développe une sensibilité accrue aux signes et aux bénédictions de Dieu dans sa vie ».
Les cinq prières quotidiennes, connues sous le nom de « Salat », sont les piliers de la foi islamique. Elles rythment la journée du musulman, lui rappelant constamment son devoir envers Dieu et sa place dans l'univers. En plus de la Salat, le conférencier mentionne sept autres formes de prières et d'invocations.
Mais il a développé la « Duâa », ou l'invocation qui occupe une place centrale dans la vie spirituelle du musulman. « C'est un moyen direct de communication avec Dieu, un acte d'adoration qui transcende le simple rituel pour devenir un moment de connexion profonde avec le Créateur. À travers elle, le croyant exprime sa dépendance, sa soumission et son amour pour Dieu, tout en cherchant à renforcer sa foi et à trouver réconfort et guidance dans la miséricorde divine ».
Pour finir, V. Khoshideh souligne que l’Islam se distingue par la relation directe que le croyant entretient avec Dieu, sans intermédiaire. Le fidèle peut à tout moment lever les mains vers le ciel et invoquer Dieu.
Répondre à l'amour de Dieu par la prière
Deux expériences sont ensuite partagées, d’abord celle de Christiane-Marie Goffinet, membre de la communauté des Focolari de Genève. Elle témoigne que dès l’enfance, elle était habitée par une question au sujet de Dieu : « et si ce tout ce qui se dit n’était pas vrai ? » C’est lors d’une rencontre avec de jeunes chrétiens, à l’âge de 18 ans, que sa muraille s’est fissurée : « dans le silence, je fis l’expérience d’un amour immense, infiniment respectueux et qui me laissait pleinement libre de l’accepter ». Cette rencontre avec Dieu a été un tournant. Alors, si Dieu est ainsi Amour, comment ne pas lui répondre par une prière du cœur ».
Par la suite le contact avec des jeunes étudiants chrétiens, des membres du mouvement des Focolari et des moniales Clarisses, qui ont des offices chantés sept fois par jour, lui a permis d’asseoir profondément sa relation avec Dieu dans une dimension communautaire et personnelle. « Ce qui m’a toujours aidée et encore récemment, c’est une recommandation de Chiara Lubich : quoique nous vivions et percevions de ce lien avec Dieu, savoir maintenir le temps qui Lui est destiné et redoubler d’amour pour les frères et sœurs… puis le soleil de Dieu tôt ou tard se lève à nouveau. Alors comment ne pas Le louer en tout temps ».
La prière, source de paix et de force
Pour Samira Bouhoudan, jeune musulmane, la prière est le moment central de sa vie ; elle est bien plus qu'un rituel : une source de paix intérieure. « Chaque fois que je prie, je sens une vague de tranquillité m'envahir, comme si tous mes soucis s'éloignaient. Cette pratique m'aide à rester calme et sereine, même face aux défis que je rencontre dans ma vie ».
Les cinq prières quotidiennes sont des repères qui lui permettent de maintenir un équilibre, de s'arrêter de réfléchir et de réorienter ses intentions. La prière la pousse aussi à apprécier davantage les petites choses de la vie, à être reconnaissante pour chaque bénédiction, qu'elle soit grande ou petite.
« La prière est pour moi un guide, une source de paix et de force, un moment de gratitude et de réflexion, et un lien avec ma communauté. Elle influence profondément ma vie quotidienne et m'aide à rester fidèle à mes valeurs ».
Surmonter les images négatives
Après ce temps d’écoute, cinq groupes furent constitués où les participants ont pu partager sur ce qui les a touchés et ce que représente la prière dans leur vie, ses effets et les obstacles qu’ils vivent. Les impressions recueillies à la fin de la rencontre témoignent de la joie de la découverte mutuelle. Il y a beaucoup de similarités dans nos valeurs et nos façons de prier, même si les mots sont différents. Un participant a écrit : « se rencontrer comme nous l’avons fait nous permet de surmonter les images négatives que l’on peut avoir des autres. Découvrir le sens de la prière dans nos religions est une espérance pour la paix ».
Martin Hoegger