« Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement »
C’est aux douze, envoyés en mission, que Jésus adresse cette forte invitation. Ayant rencontré une humanité égarée, souffrante, il a éprouvé de la compassion pour elle et souhaite multiplier son œuvre de salut à travers les apôtres. Réunis autour de Jésus, ils ont écouté ses paroles et reçu une mission, le but de leur vie. Ils se sont mis alors en route afin de témoigner de l’amour de Dieu pour chacun.
« Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement »
Qu’ont-ils reçu gratuitement qu’ils doivent maintenant donner à leur tour ? Les apôtres ont connu la miséricorde de Dieu dans les paroles, les gestes, les choix et toute la vie de Jésus. Malgré leurs faiblesses et leurs limites, ils ont reçu la nouvelle Loi de l’amour, de l’accueil réciproque.
Ils ont surtout reçu le don que Dieu veut faire à tous les hommes : lui-même, sa compagnie sur les routes de la vie, sa lumière pour les choix qu’ils doivent faire. Ce sont des cadeaux sans prix, bien au-delà de notre capacité de compensation, justement des dons « gratuits ».
Ils ont été donnés aux apôtres et à tous les chrétiens, pour qu’ils deviennent à leur tour distributeurs de ces biens à tous ceux qu’ils rencontrent.
« Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement »
Voici ce qu’écrivait Chiara Lubich en octobre 2006 : « Tout au long de l’Évangile, Jésus invite à donner : aux pauvres, à celui qui demande, à celui qui veut emprunter, donner à manger à celui qui a faim, donner son manteau à qui demande une tunique, donner sans rien attendre en retour. C’est lui-même qui a commencé à donner : la santé aux malades, le pardon aux pécheurs, la vie à chacun de nous. À l’instinct égoïste qui nous pousse à vouloir tout accaparer, il oppose la générosité ; à notre habitude de tout centrer sur nos propres besoins, l’attention à l’autre ; à la culture de la possession celle du don […]. La Parole de vie de ce mois nous aidera à redécouvrir la valeur de chacune de nos actions : qu’il s’agisse du travail chez soi, aux champs ou à l’usine, au bureau, aux devoirs de classe, jusqu’aux plus hautes responsabilités civiles, politiques ou religieuses. Tout peut être transformé en service attentif et dévoué. L’amour nous donnera des yeux neufs pour deviner les besoins des autres et y répondre avec imagination et générosité. Quel en sera le fruit ? Les dons circuleront, parce que l’amour appelle l’amour. La joie se multipliera, car “il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir” (Ac 20,35) (1). »
C’est exactement ce que raconte Vergence, une petite fille, au Congo : « En allant à l’école, j’avais vraiment très faim. Sur le chemin, mon oncle m’a donné de l’argent pour acheter un petit pain, mais plus loin j’ai vu un homme très pauvre. Tout de suite j’ai pensé lui donner l’argent.
Mon amie, qui était avec moi, m’a dit de ne pas le faire et de penser d’abord à moi ! Mais je me suis dit : je trouverai à manger pour moi demain, mais lui ? Alors je lui ai donné l’argent du petit pain et j’ai éprouvé une grande joie dans mon cœur. »
« Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement »
La logique de Jésus et de l’Évangile est toujours de recevoir pour partager, jamais d’accumuler pour soi-même. C’est une invitation à reconnaître ce que nous avons reçu : énergies, talents, capacités, biens matériels, et à les mettre au service des autres.
Selon l’économiste Luigino Bruni, « la gratuité est […] une dimension qui peut accompagner quelque action que ce soit. C’est pour cette raison qu’elle n’est pas ce qui est “gratis”, mais le contraire, car la gratuité n’est pas un prix égal à zéro, mais un prix infini, auquel on ne peut répondre que par un autre acte de gratuité (2). »
La gratuité dépasse donc les logiques de marché, de la société de consommation et de l’individualisme. Elle ouvre au partage, à l’esprit social, à la fraternité et à la nouvelle culture du don.
L’expérience confirme que l’amour désintéressé est une véritable provocation, aux conséquences positives et inattendues, qui font aussi tache d’huile dans la société.
Voici ce qui est arrivé aux Philippines avec une initiative qui a débuté en 1983 :
À cette époque, politiquement et socialement très difficile, beaucoup s’étaient engagés pour venir en aide aux autres. Un groupe de jeunes avait ainsi décidé d’apporter sa contribution de manière originale : en vidant leurs armoires de tout leur superflu, vendu sur le marché de l’occasion. Le petit capital obtenu leur a permis de lancer un centre social, appelé Bukas Palad – qui signifie « les mains ouvertes » dans la langue locale – inspiré par la phrase de l’Évangile : « Vous avez reçu gratuitement, donnez gratuitement ».
Quelques médecins s’engagèrent aussi, offrant de manière désintéressée leur concours, et beaucoup d’autres personnes ouvrirent leur cœur, leur bras et la porte de leurs maisons.
C’est ainsi que s’est développée une vaste action sociale en faveur des plus pauvres, qui aujourd’hui encore offre ses services en diverses villes de Philippines. Cependant l’objectif le plus important, qui a été atteint au cours des années, a été de rendre acteurs de leur propre réinsertion les destinataires mêmes du projet.
En effet, ces personnes retrouvent leur dignité et construisent des relations d’estime et de solidarité. Par leur exemple et leur engagement, elles en accompagnent beaucoup d’autres pour les aider à sortir de la pauvreté et à assumer la responsabilité d’une vie sociale pour elles-mêmes, leurs familles et leur communauté (3).
Letizia Magri
Commission Parole de Vie
(1) D’après C. LUBICH, Parola di Vita octobre 2006, in Parole di Vita, a cura di Fabio Ciardi (Opere di Chiara Lubich 5, Città Nuova, Rome, 2017) pp. 791-793.
(2) D’après http://www.edc-online.org/it/pubblicazioni/articoli-di/luigino-bruni
(3) http://bukaspaladfoundation.org/