Marie, un pont entre chrétiens et musulmans ?

La quatrième rencontre du groupe « Musulmans et chrétiens en chemin » a été consacrée à Marie. La mère de Jésus, un pont entre les deux religions ? C’est ce qu’une soixantaine de personnes ont voulu découvrir ce dimanche 30 septembre 2018, dans les locaux du Complexe culturel des musulmans de Lausanne.

La journée a commencé par une lecture – en arabe et en français - de la Sourate de Marie sur l’Annonciation, suivie par le texte biblique. Dans les deux textes, un ange annonce à Marie qu’elle enfantera Jésus, par la puissance de l’Esprit saint. Proximité des deux récits !

Comme Marie, traverser nos épreuves

Gwenaelle Delalande, très engagée dans le dialogue interreligieux porté par le mouvement des Focolari constate que parler de Marie, modèle du croyant, est un thème très vaste. Cela demande de faire un choix, d’en découvrir seulement quelques aspects.

La conférencière a parlé de Marie en trois points. D’abord dans le Nouveau Testament où sa présence est plutôt sobre. Chaque évangéliste relate en effet un passage de sa vie, depuis le mystère de l’incarnation jusqu’à celui de la résurrection de Jésus.

Puis elle a parcouru quelques moments clefs de la vie de Marie en essayant de voir comment ceux-ci peuvent éclairer certaines étapes de notre vie.

Par exemple au sujet de l’Annonciation de l’ange à Marie, elle pose la question : « N’avons-nous pas nous aussi vécu un moment « d’annonciation » ? Un moment précis dans notre vie où Dieu se manifeste à nous…et nous appelle à lui répondre ? »

Et enfin, elle a parlé de Marie dans la spiritualité du mouvement des Focolari, à travers quelques textes de sa fondatrice, Chiara Lubich. Cette dernière a surtout souligné le lien entre Marie et la Parole de Dieu, « entièrement revêtue de la Parole de Dieu ». Elle est modèle de celui ou de celle qui veut la vivre : « elle est ce que nous devons être et, à travers nous, elle peut revivre sur la terre ».

Pour conclure, G. Delalande a partagé une expérience forte pour dire qui est Marie pour elle. Son exemple de persévérance dans la souffrance lui a permis de surmonter un moment difficile quand Dieu lui a demandé de quitter la France. « En renouvelant mon « oui » à suivre Dieu comme Marie, en me faisant petite comme elle, avec elle, à chaque instant de ma vie, c’est alors qu’une nouvelle vie avec Dieu a commencé ».

Marie : une spiritualité engagée

« Notre rencontre me fait penser à mon île, où des personnes de toutes les religions s’accueillent et se respectent. Je remercie Dieu pour cette « réunion » ! s’exclame Kenza, une jeune étudiante, venue récemment de l’île de la Réunion. Elle se trouve aux côtés d’Abdelwahid Kort, qui a apporté un point de vue musulman sur la mère de Jésus. Avec plusieurs exégètes musulmans, l’imam du centre qui nous accueille la considère comme une prophète et comme le modèle de femme accomplie. « Marie est un mystère et un océan sans fond.  A sa lumière et à sa transparence j’ai sans cesse à me convertir », dit-il  

Il note que Marie passe d’une spiritualité individuelle – sa communion avec Dieu - à une spiritualité engagée – dans la rencontre avec les autres - où elle reçoit encore plus de lumière à travers la souffrance. 

Marie est toujours animée par l’amour et la contemplation du Seigneur. Elle s’en remet à Dieu dans les épreuves. Comment les a-t-elle affrontées ? Par le silence, la prière et l’altruisme. Elle a vécu le vrai jeûne : celui du cœur, de la parole et des futilités mondaines.

Et son fils, Jésus, comment le considère-t-il ? « Je vois Jésus dans le sourire et l’humilité de mes frères et soeurs chrétiens. Jésus m’apprend le pardon et l’amour des ennemis. C’est très fort... et cela, je l’apprends aussi des chrétiens. J’ai toujours à découvrir l’humilité, jusqu’à la fin de mes jours ». 

« Ensemble avec Marie »

Venu de Paris, Gérard Testard présente « Ensemble avec Marie », un mouvement qui réunit musulmans et chrétiens autour de la mère de Jésus. http://www.ensembleavecmarie.org/

« La proximité des deux récits de l’Annonciation dans l’Evangile et dans le Coran est le point de départ de ces rencontres qui, dès le début ont réuni des centaines de chrétiens et de musulmans de tous horizons, désirant participer à la construction d’une civilisation fondée sur l’Amour et la Paix, dans le respect de l’identité de chacun », dit-il.

Ce mouvement né suite à une expérience libanaise a trois aspects. D’abord spirituel ; il s’agit de rejoindre les intelligences et les cœurs, par la lecture de textes sacrés, l’art, la formation et le travail intellectuel sur Marie. « La culture de la rencontre en est le fondement : ni prosélytisme, ni syncrétisme. Il s’agit d’être vrai et franc. La rencontre ravive notre propre foi ». Cette culture développe aussi le sens de l’écoute et invite à la visite : rencontrer l’autre sur son terrain, comme Marie s’est déplacée pour visiter Elisabeth. 

Puis c’est un mouvement populaire, car Marie touche tout le monde. Et enfin il est un mouvement citoyen qui vise la paix et le vivre ensemble. 

Abdelhak Sahli, président des scouts musulmans de France, a accompagné G. Testard et rappelle la vocation du scoutisme : former un jeune joyeux et utile pour sa société. C’est pourquoi on y insiste sur la rencontre d’autrui : « ne pas être des citoyens à part… mais à part entière ».  Pour lui Marie représente l’humanité soumise de gré à la volonté de Dieu. Elle aide à donner un exemple aux jeunes. Voilà pourquoi les scouts musulmans ont rejoint Ensemble avec Marie. 

Une mosquée dédiée à Marie ?

Naceur Ghomraci, imam et aumônier des prisons du Canton de Vaud, a partagé ses impressions d’un congrès entre musulmans et chrétiens organisé par les Focolari, à Rome au mois d’avril dernier : « La force et l’engagement de Chiara Lubich sont une grande découverte et un exemple pour tout croyant. Son invitation à mettre la règle d’or à la base de tout m’a marqué. Avec cette spiritualité, on peut aller beaucoup plus loin dans le dialogue. J’ai senti que c’est un véritable projet de Dieu auquel chacun doit contribuer ».

Suite à ce congrès, une idée lui est venue : comme sa communauté est en train de construire une mosquée, il voudrait lui proposer qu’elle soit dédiée à Marie !

Ensuite des petits groupes ont été constitués pour approfondir le thème. La journée s’est conclue par l’Ave Maria de Caccini, magnifiquement interprété par une chrétienne avec un contrepoint de vocalises par un musulman. Le moment de silence qui a suivi était impressionnant. Et c’est dans la joie et la reconnaissance que les participants à cette belle journée se sont quittés, en se promettant de continuer ce chemin ensemble. Des idées concrètes ont été partagées.

« Cette rencontre fut très belle et a laissé son parfum et son goût dans le cœur », nous a confié Sandrine Ruiz présidente de l’Union vaudoise des associations musulmanes. Safia Bauer, membre de l’Association soufie Alâwiyya, s’émerveille qu’elle ait rassemblé sunnites, shiites et soufis. Elle est « un pas en avant non seulement au niveau inter-religieux mais aussi intra-religieux. Je suis rentrée de cette riche journée dans les louanges et dans une profonde reconnaissance ». « Participer à ces réunions est toujours un immense plaisir. On y sent la fraternité et la paix », s’exclame Vahid Koshideh, imam de l’Association Ahl-el-Bayt, à Genève.

Pour conclure, deux brefs témoignages. Une chrétienne d’abord : « J’ai vécu une journée d’espérance en découvrant Marie comme un exemple d’équilibre entre humanisme et spiritualité. Un chemin intérieur s’est fait en moi et, je le crois, en chacun ». Et une musulmane : « J’ai senti qu’on va dans la même direction et qu’un  fil d’or invisible nous relie. J’ai été touchée de découvrir Marie chez les chrétiens, en particulier son endurance à travers l’épreuve. Elle est une porte pour le dialogue. J’ai nourri ma foi et j’ai soif d’en savoir plus ».

Martin Hoegger 

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